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Qui sont les chrétiens arabophones de Liège ? Pour le savoir, nous avons rencontré leur aumônier, le père Abdallah. D’Alep à Bressoux, le prêtre maronite “au service tous” nous partage son histoire qui est aussi celle des membres de sa communauté. 

Né à Alep à une époque où la ville abritait encore 250 000 chrétiens de différentes confessions, le père Abdallah a toujours expérimenté cette réalité d’une église plurielle, riche de sa diversité. 

Il découvre la Belgique dans les années 1990; il poursuit alors des études à Louvain-la-Neuve puis obtient un doctorat à l’Université de Lille. “L’Eglise de Liège m’a accueilli. C’est Mgr Houssiaux qui m’a autorisé à célébrer comme prêtre arabophone”. 

A cette époque, Liège compte une petite communauté de Libanais, puis, dans le tournant des années 2000, ce sont les Irakiens qui s’installent dans notre région, ils seront suivis par les Syriens, en 2015, fuyant la menace de l’Etat Islamique.  

Ma paroisse est beaucoup plus vaste que Liège, c’est l’Europe occidentale”, nous explique le père Abdallah qui célèbre aussi chez nos voisins des Pays-Bas. Comme chrétien migrant à la rencontre d’autres chrétiens migrants, sa paroisse n’a en réalité pas de frontières. “Si j’y vais, c’est pour leur montrer que l’Eglise les rejoint”.

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Alep est surtout connue pour sa citadelle et son savon. (c) Bernard Gagnon

Un pont entre l’Orient et l’Occident

Installé à Bressoux, dans un quartier où cohabitent plus de 90 ethnies différentes, le prêtre maronite veut être au service de tous, chrétiens et aussi musulmans. De par son prénom à consonance arabe signifiant “serviteur de Dieu”, le père Abdallah en déroute plus d’un ; en effet, qui, aujourd’hui, ne fait pas l’amalgame entre arabe et musulman. “C’est pourquoi nous chrétiens orientaux sommes mal compris, estime notre interlocuteur, et parfois mal aimés”.

La communauté chrétienne orientale de Belgique compte en son sein de nombreuses nationalités : Liban, Irak, Syrie mais aussi Tunisie, Jordanie, Egypte et Arabie Saoudite. Et tout ce petit monde doit apprendre à se rassembler pour célébrer ensemble. En écho à l’appel de Mgr Delville à “élargir l’espace de notre tente” (lettre pastorale balisant la démarche synodale, novembre 2022), le père Abdallah est convaincu que sa communauté est une richesse pour l’Eglise de Liège. “Elle peut incarner cette idée d’ouverture”, pour autant que l’Eglise lui en donne la possibilité. 
Notre appartenance chrétienne nous a fait quitter notre terre après avoir résisté tant bien que mal face aux oppresseurs. Nous sommes un pont entre la réalité orientale, avec ses richesses et ses faiblesses, et la société occidentale sécularisée dont les racines chrétiennes se sont diluées”. 

Saveurs d’Alep

La communauté arabophone de Liège, ce sont 250 familles, près de 200 fidèles à chaque messe. “Nous avons besoin de place et de projets pour pouvoir vivre et montrer notre spécificité”, clame le père Abdallah, loin de toutes velléités communautaristes, lui qui est convaincu d’être investi d’une mission dans l’Eglise de Liège par la volonté de Dieu. Et pas seulement pour les Arabes ! 

Est-ce que tout migrant rêve de retour au pays? Les plus anciens, oui. “Les jeunes qui sont nés ici n’ont pas d’attache et leur pays, c’est la Belgique. Et puis, qui rêverait de rentrer dans une patrie détruite où règne la crise économique? Ils sont nés dans l’Eglise de Liège et sont l’avenir de l’Eglise de Liège.” 

C’est le cas de Razek, 25 ans, gérant d’un restaurant de street food syrienne, rue Saint-Gilles, depuis mars 2023. Il a quitté Alep en 2015 avec ses parents et son petit frère. Avant de s’installer à Liège, la famille a séjourné dans une structure d’accueil de la Croix-Rouge à Hotton. Et si, à son arrivée en Belgique, le jeune adolescent connaît les rudiments du français et de l’anglais, il a néanmoins rencontré quelques difficultés dans la poursuite de sa scolarité. 

Féru d’infographie, Razek a créé lui-même le logo et la décoration de son restaurant de street food syrien, Vita d’Alep. Il est suivi par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux. (c) Sophie DELHALLE

Son truc à Razek, c’est l’infographie, c’est lui qui a dessiné le logo de son fast-food oriental et en a imaginé la décoration. Une manière pour ce jeune homme déraciné de partager un peu de sa culture en exposant photos et souvenirs. Son restaurant “Vita d’Alep” porte le nom du magasin syrien de son papa, boulanger-pâtissier de métier. “J’étais très stressé le jour de l’ouverture, je n’avais aucune expérience dans la restauration, mais les commentaires positifs des clients m’ont encouragé. Ici, c’est moi qui gère tout, la cuisine, les factures et les réseaux sociaux” où les vidéos de Razek comptabilisent près de 20 000 vues. 

Quand nous lui demandons quels sont les ingrédients typiques de la cuisine syrienne, nous nous attendons à une liste de condiments. Razek nous parle du ‘fait maison’, de l’accueil, “en entrant, le client doit se sentir comme chez lui”. Et c’est exactement ce que nous avons ressenti. Chaleureux, souriant, généreux, spontané, Razek propose une adaptation belgo-syrienne de la cuisine de son enfance. Pois chiche, aubergines, falafel, poulet mariné, menthe, grenade mais surtout sauce à l’ail transportent les papilles jusqu’à Alep. Est-ce que la Syrie lui manque? “J’y pense tous les jours”. A-t-il envie d’y retourner? “Je me suis bien habitué à la Belgique, en Syrie, c’est encore trop dangereux et avec la crise économique, il n’y a pas d’avenir. Moi, je dis merci mon Dieu merci père Abdallah, car ils m’ont donné une chance de vivre mieux.” 

De la difficulté d’oublier

Avant de quitter la Syrie, avec la famille de Razek et beaucoup d’autres chrétiens, le père Abdallah était économe général de son diocèse et responsable du sanctuaire de saint Mahmoud aujourd’hui occupé par les Kurdes. “Je suis le dernier chrétien à avoir quitté Alep, je me souviens très bien de la date, c’était le 21 mars 2015”. Quels sentiments peuvent alors traverser un homme qui s’apprête à quitter sa terre sans aucune certitude de retour ? “C’est la tempête, comme un arbre qui quitte ses racines, c’est très violent.” 

Chaque année, une vingtaine de familles arrive encore dans le diocèse, fuyant la guerre, les persécutions et la crise économique. “Ceux qui n’ont pas perdu la vie ont perdu l’espoir de vivre, de grandir là-bas” nous assure le père Abdallah. Mesure-t-on vraiment l’ampleur du désastre? En quelques années, l’Orient a été vidé de ses habitants chrétiens. Et combien de temps nos frères résisteront-ils encore en Terre Sainte? se demande le prêtre. 

Voilà de nombreuses années que deux évêques d’Alep sont retenus en otage. Que sont-ils devenus ? Difficile d’oublier, de laisser son histoire derrière soi. “Je ne peux pas l’ignorer.” On peut comprendre aussi que le caractère des réfugiés chrétiens ait été forgé par cette peur, cette angoisse. 

Le père Abdallah peut toujours compter sur les fidèles pour installer la crèche et les décorations de Noël. DR

Peut-on pour autant affirmer “migrant un jour, migrant toujours”? “Malheureusement oui”, acquiesce le père Abdallah. Notamment à cause de “la société qui ne veut pas de nous”. Dans ce contexte, l’Eglise offre heureusement cet espace vital de liberté, ce refuge où “je peux garder ma spécificité, parler ma langue, …”

Je pense à cette dame venue assister à la messe, raconte le père Abdallah, elle entre, respire l’air qui embaume l’encens et se met à pleurer”. Et de confier au prêtre : “Vous ne pouvez pas savoir comme cette odeur m’a manqué”. Grâce à cette odeur retrouvée, “elle s’est sentie en paix, protégée dans les mains de Dieu” témoigne le père Abdallah. 
 

Regarder vers l’avenir

Comment réagit-il face aux discours haineux envers les migrants? “Je comprends mieux pourquoi certains tiennent ce type de discours mais j’ai envie de leur dire que des profiteurs, il y en a partout, chez les migrants comme chez les autres”. Et pour beaucoup de migrants, le rêve se brise une fois le pied posé sur le continent, la confrontation avec la réalité européenne est parfois douloureuse, notamment par la difficulté de faire reconnaître ses compétences et diplômes. 

Pourtant, loin de baisser les bras, le père Abdallah veut que “nos enfants aiment cette Eglise dans laquelle ils vont et doivent grandir”. “Je suis un combattant, même si j’accepte l’autorité. L’Eglise, c’est ma mère, je ne peux pas la critiquer, mais je peux lui dire que je suis fâché”. Il aimerait pouvoir aider plus de gens, et pas seulement les chrétiens arabophones. Or “vivre l’ouverture, ce n’est pas simplement dire une parole ou une promesse, c’est faire un geste et assurer une présence. Si l’on ne dispose pas des moyens, comment attirer les jeunes, comment leur donner envie de s’investir dans des projets, comment être signe de Dieu dans le monde?” Depuis bien longtemps, la communauté arabophone souhaiterait par exemple pouvoir disposer d’un local pour accueillir les enfants ainsi que chauffer l’église lors de chaque célébration. Leurs prières seront-elles bientôt exaucées ? Inch’Allah ! 

Auteur: Sophie DELHALLE