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Seul imam belgo-belge, Franck Hensch fait partie de ses acteurs indispensables du dialogue islamo-chrétien. Invité par Mgr Delville pour rompre le jeûne ce jeudi soir avec d’autres imams liégeois, il nous parle des valeurs communes qui lient nos deux monothéismes. 

Le 17 mars 2024, chrétiens et musulmans se rencontraient à Liège au centre culturel bosniaque à l’initiative de la Commission Interdiocésaine pour les Relations avec l’Islam. Premier à gauche, rangée du bas, Franck Hensch a soutenu cette organisation. 

Si nous pouvons considérer les juifs comme nos frères aînés dans la foi, les musulmans sont bel et bien nos “petits frères”. Car l’islam reconnait Moïse et Jésus, et cette filiation est primordiale, souligne d’emblée Franck Hensch, seul imam de souche belge à exercer chez nous. Il nous explique d’abord le rôle et la mission de l’imam. 

Une réalité nuancée

Imam, cela veut dire “celui qui est mis en avant, dans le sens du leader, du guide. C’est l’une des fonctions du prophète Muhammad qui, pour nous musulmans, est venu délivrer le dernier message.” Notre interlocuteur précise que la compréhension de ce rôle est étroitement liée aux communautés d’origine, dont les attentes et les besoins peuvent différer. “Il y a beaucoup de nuances entre un imam sénégalais, marocain, tunisien, tchétchène ou belge.” 

L’imamat en Belgique a par ailleurs évolué depuis l’installation des premiers musulmans lors des migrations prolétaires des années 1960. “Ces travailleurs n’avaient pas la volonté de rester donc on faisait du bricolage, il n’était pas question à l’époque de faire construire une mosquée.” En Belgique, les deux grandes communautés de croyants musulmans sont issues de l’immigration marocaine et turque. Qui ont chacune leur propre vision de la fonction d’imam. “Dans les Balkans, l’imam est un personnage central, un peu comme un évêque, on le consulte très souvent” précise encore Franck Hensch. 

Un rôle plus pastoral

Pour Franck Hensch, devenir imam n’était pas une évidence. “Ce n’était pas un rêve d’ado, sourit-il, mais la fonction s’est imposée par mon engagement, et j’ai répondu à une sollicitation de ma communauté.” Il entame alors une formation longue et astreignante qui le fera voyager en France, en Egypte et en Tunisie. En 2024, l’imam reste un guide pour le culte mais doit aussi pouvoir endosser un rôle plus pastoral, nouer des liens étroits avec les fidèles, accompagner les familles, pour les mariages, les divorces aussi, les conversions, il est également devenu une figure de référence sociétale et éducationnelle.

C’est pourquoi il est bon, nous confie Franck Hensch, que plusieurs imams puissent s’épauler pour mener à bien toutes ces tâches et répondre aux nouvelles attentes, surtout dans le chef des jeunes. “Être imam responsable de mosquée, cela veut dire conduire 5 prières par jour, 7 jours sur 7, 365 jours sur l’année. Alors quand on est plusieurs, ça aide quand même.”

 
Pour Franck Hensch, répondre aux questions des jeunes, musulmans ou non, fait partie intégrante de sa mission d’imam. Lors d’une visite des élèves du collège Saint-Servais de Liège en janvier 2023. DR

Mieux se connaître 

Quel est aujourd’hui le plus grand défi d’un croyant au cœur d’une société qui ne l’est plus ou de moins en moins ? “C’est vivre la pluralité, la diversité comme une richesse et une chance. Pour les musulmans, c’est une loi divine, universelle. Sans vis-à-vis, on se perd. L’entre-soi ne permet pas de cultiver le questionnement. Alors, certes c’est plus difficile mais aussi plus nourrissant.” La capacité et le besoin de vivre avec l’autre serait donc un principe fondamental dans l’islam. “C’est de la pluralité que peut naître le vivre-ensemble”.

Et d’ajouter: “Aller vers l’autre requiert d’abord de se connaître soi, pour éviter ce repli identitaire nourri par la perte des repères”. C’est aussi la meilleure façon de lutter contre “les populismes qui jouent sur les oppositions”. Franck Hensch regrette ainsi cette croisade menée par certains politiques contre le cours de religion, “espace organisé où les croyants peuvent se construire”. Supprimer les cours de religion, c’est pousser les jeunes à chercher les réponses à leurs questions sur les réseaux sociaux. Avec tous les risques inhérents. 

Comme l’avait aussi affirmé en son temps le Grand Rabbin Guigui, l’imam verviétois estime que “celui qui ne se connaît pas est plus fragile” et aura tendance à se replier sur lui. “Nous devons inclure l’autre dans nos discours et faire de la théologie de l’altérité.” 

Nourrir la fraternité

Dans l’islam, toute liberté est le fruit d’une exigence, d’un effort. “On ne peut pas vivre et se développer sans exigence” insiste notre imam. Et chaque musulman avec sa conscience personnelle est placé face à sa propre responsabilité. Toutefois, si la pratique n’est pas appelée à évoluer, une certaine souplesse est de vigueur. Déjà, le culte n’est pas exclusivement attaché à la mosquée ou à l’imam mais “l’exigence dans la pratique témoigne de notre fidélité au message du prophète.”

Concernant les interdits alimentaires, ils sont en réalité plutôt limités. Le musulman ne peut consommer de viande de porc, mais pourra manger toute autre viande sacrifiée, que ce soit selon le rite musulman ou juif. Dans le but justement de pouvoir partager un repas avec tous ses frères. Car “manger, ce n’est pas seulement nourrir son ventre mais c’est aussi nourrir la fraternité.” 


En octobre 2022, Franck Hensch participe à la démarche mémorielle et interconfessionnelle pour les victimes de la Shoah et du nazisme à Banneux avec Mgr Jean-Pierre Delville, Mme Dinah Korn, attachée à la Synagogue de Liège. DR

Prier ensemble 

Si musulmans et chrétiens peuvent manger ensemble, en est-il de même pour la prière? “Il existe deux types de prière en islam, la prière canonique, cinq fois par jours, extrêmement ritualisée, brève et intense, et la prière d’invocation. Un musulman ne participera pas à la prière rituelle d’une autre confession mais peut invoquer Dieu avec ses frères chrétiens.” Et comment les musulmans considèrent-ils Marie ? “Nous reconnaissons Marie comme mère de Jésus prophète, toute une sourate lui est d’ailleurs dédiée, c’est un modèle qui permet de créer du lien car les discours chrétiens et musulmans sur Marie sont identiques.” 

Tous frères et soeurs 

Au terme de cet entretien, nous demandons à Franck Hensch quelles sont pour lui les valeurs essentielles communes à nos deux religions. “Je commencerais par la miséricorde dont notre société a tant besoin. Puis, je dirais l’humanisme, car l’homme est inscrit au cœur du message de nos deux religions qui donnent un sens profond à notre existence et nous rappelle que nous sommes des créatures d’origine divine à qui l’on a confié une responsabilité. Là où notre société stagne en superficie, la religion invite à aller plus en profondeur. La justice est un élément fondamental que nous partageons, les prophètes et ce compris Moïse et Jésus ont tous cherché à rétablir une forme de justice sociale. Enfin, j’ai envie d’ajouter la fraternité. Nous croyons en un Dieu Créateur de tous les hommes et à travers l’image d’Adam, nous sommes tous frères et sœurs, et c’est pour moi le meilleur rempart contre le racisme et le rejet.” 

Texte: Sophie Delhalle