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Il y a quelques semaines, un internaute s’est ému de découvrir que le blason de Mgr Delville comportait quatre rangs de “glands” (ou houppes) au lieu des trois requis conformément à son statut d’évêque. Nous avons donc mené notre enquête et convoqué deux spécialistes pour tirer cette affaire au clair. 

Notre nouveau chancelier, Jean-Pierre Deleersnijder, et notre archiviste diocésain, Christian Dury, discutent à bâtons rompus de la conformité héraldique du blason de Mgr Delville. (c) Sophie DELHALLE 

S’agit-il donc d’une erreur? Mgr Delville utiliserait-il un ‘mauvais’ blason ? Comme souvent, la réalité est un peu plus compliquée. Comme vont nous l’expliquer nos deux experts, Jean-Pierre Deleersnijder, notre nouveau chancelier du diocèse de Liège, et Christian Dury, archiviste diocésain. 

Sophie Delhalle : A quoi sert un sceau épiscopal ? Quand l’utilise-t-on et que représente-t-il? 

Christian Dury : Le sceau porte le blason de l’évêque qui représente les armoiries ou les armes de la famille dont la symbolique est infinie. La science des blasons, l’héraldique, est très pointue; être héraldiste, c’est un vrai métier ! Chaque couleur, objet, animal a sa propre signification. Les blasons peuvent aussi être repris sur un drapeau, un bâtiment, un vitrail … Le sceau sert à authentifier des documents à une époque où peu de gens savent lire et écrire, mais reconnaître une image, c’est facile. La matière utilisée pour le réaliser peut être de l’or, pour les documents les plus précieux, du plomb ou de la cire de couleurs différentes. 

Jean-Pierre Deleersnijder : Aujourd’hui encore, le sceau épiscopal sert à authentifier tous les documents promulgués par l’évêque, contresigné par le chancelier, qui est le garant de ce sceau. Il doit par ailleurs veiller à ce que son utilisation soit conforme. Seuls les documents émanant de l’évêque peuvent arborer son blason, sinon, c’est le logo du diocèse qui doit être utilisé. Le blason est étroitement lié à la personne. 

C.D.: Dans l’ancien temps, le blason était apposé sur les mandements épiscopaux, les acta, les échanges épistolaires, …

J-P.D.: C’est encore le cas, et en plus, toutes les semaines, une quantité de documents sont émis avec le sceau de notre évêque : lettres de mission, décrets de nomination, états de service. Tout courrier émis par l’évêque porte également son blason. 

C.D.: Certains évêques contemporains n’ont pas suivi cette coutume, notamment ceux dont la correspondance était totalement manuscrite. 


Des sceaux de Mgr Van Zuylen conservés aux archives de l’Evêché de Liège (c) Sophie DELHALLE

S.D.: Comment l’évêque compose-t-il son blason ? 

C.D.: Quand il n’a pas de titre nobiliaire ni d’armoiries, il s’inspire généralement de sa devise, extraite de la Bible. L’évêque confie généralement la réalisation de son blason à un héraldiste et un dessinateur. J’ai souvenance que Mgr Houssiau a lui-même dessiné le sien.

J-P.D: Le blason de Mgr Delville illustre effectivement sa devise “Le fleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu” avec un cours d’eau, à droite, la colombe de Sant’Egidio, mouvement auquel il est très attaché, et à gauche la cathédrale entourée de la ville de Liège. On y trouve aussi les éléments historiques du chapeau ecclésiastique, de la croix et des rangs de houppes de part et d’autre. 

Un internaute nous a fait remarquer que le blason de Mgr Delville comportait un rang de houppes supplémentaire, qui serait réservé aux archevêques …

C.D.: L’apparition de 4 houppes remonte à la charnière entre l’Ancien et le Nouveau régimes. Depuis le Concordat, j’ai constaté que deux évêques ont hésité et ont utilisé deux blasons comportant 3 et 4 houppes. Mgrs Van Bommel et Van Zuylen ont probablement confié la réalisation de leur blason à un héraldiste qui s’est reporté à la théorie, ignorant l’exception liégeoise. Mais à savoir pourquoi et comment cette exception a été accordée, aucun document ne nous permet de le dire. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin! Est-ce une liberté prise par un évêque et puis recopiée ? Un honneur décerné? D’autres diocèses sont concernés comme Tournai. 

J-P.D.: Ma volonté en tant que chancelier est de m’assurer que seul le blason de notre évêque avec les 4 houppes soit utilisé, notamment par les différents services qui ont également reçu ce privilège, afin de lever toute confusion, comme cela a pu être le cas par le passé. Et que cette particularité soit correctement documentée pour l’histoire et pour les successeurs de Mgr Delville. Cette question des houppes ne s’est pas posée avec son prédécesseur qui, par grande humilité, ne les avait pas intégrées à son blason et n’a par ailleurs jamais utilisé de sceau proprement dit mais un cachet.

Qu’advient-il justement du sceau épiscopal lorsque l’évêque quitte sa fonction et/ou meurt? 

C.D.: Sous l’Ancien régime, à la mort de l’évêque, le sceau était cassé, le chancelier rapatriait tous les exemplaires existant afin de les détruire. Le métal était martelé puis fondu pour fabriquer de nouveaux sceaux. Voilà seulement quelques décennies que l’on considère ces objets à titre historique, les sceaux de Mgrs Jousten, Van Zuylen et Rutten (photo ci-contre) sont conservés aux archives de l’Evêché, d’autres se trouvent au Trésor de Liège. A noter aussi que certains évêques disposaient d’un sceau privé, à côté de l’officiel.

J-P.D.: L’exemplaire officiel de l’évêque en fonction est conservé à la chancellerie, sous bonne garde … 

 Propose recueillis par Sophie DELHALLE

🔎 COMPLEMENT D’ENQUETE : Quand l’exception devient la règle : le cas de l’héraldique ecclésiastique liégeoise 

Si, dans un blason ecclésiastique, le nombre de glands – appelés houppes en héraldique – détermine bien le rang de l’individu, à Liège, les pistes ont été un peu brouillées au cours de l’histoire. Mais de quoi se compose exactement un blason d’évêque?

Tout d’abord, d’un chapeau qui surmonte une croix avec une ou deux barres horizontales selon qu’il s’agit d’un évêque ou d’un archevêque. Au cœur, un écu familial ou personnel, accompagné de la devise. La symbolique des couleurs intervient également, avec le vert – sinople en héraldique – pour les évêques et archevêques, et non le violet comme on aurait pu s’y attendre. 

Privilège de prince ? 

Au tournant des 17-18e siècles, deux princes-évêques de Bavière arboraient également la couronne et l’hermine princières ainsi qu’un glaive et une crosse. Le nombre de houppes pour un évêque est de six, rangées sur trois rangs, dix, rangées sur quatre pour un archevêque et quinze sur cinq rangées pour un cardinal. Or, contrairement aux usages, la plupart des évêques depuis le Concordat affichent bien quatre rangs de houppes dans leur blason. Pour Julien Maquet, Conservateur du Trésor de Liège, l’évêque de Liège aurait hérité de ce privilège à l’époque de l’Ancien régime pour marquer sa qualité de prince du Saint-Empire. Mais aucun blason de cette époque ne présente les quatre rangs de houppe !


Voici le sceau utilisé par Mgr Delville pour sceller la châsse de saint Lambert le 18 décembre 2023, minutieusement contrôlé par le chancelier diocésain, Jean-Pierre Deleersnijder. (c) Sophie DELHALLE

La rigueur n’a d’ailleurs pas toujours été de mise comme en témoignent les blasons plutôt fantaisistes de Mgr Van Zuylen. Étonnement, Mgr Houssiau et Mgr Jousten, les deux prédécesseurs directs de notre évêque actuel, n’ont pas intégré les dix houppes à leur blason. Lors de son ordination épiscopale en juillet 2014, Mgr Delville opte également pour les trois rangs de houppes, erreur qu’il rectifiera en 2014. 

Comment expliquer alors que l’évêque de Tournai arbore également dix houppes à son blason? Auraient-elles été octroyées à certains évêchés à l’époque de Louis XIV suite à la reconquête de la Flandre ? Ceci n’explique toutefois pas le cas liégeois.

La présence de dix houppes est-elle donc le fruit d’un accident de l’histoire, dû à l’ignorance de l’artiste et/ou du principal intéressé?  Oserait-on avancer l’hypothèse d’un pêché d’orgueil ? S’agit-il dès lors d’une erreur répétée qui aurait fini par devenir la norme? L’exception aurait-elle fini par prendre le dessus sur la règle? Sachant toutefois qu’il n’existe en réalité par d’organe héraldique unique et que les blasons erronés sont au final acceptés s’ils s’inscrivent dans une tradition ancestrale. 


L’un des sceaux épiscopaux liégeois exposé dans une vitrine du Trésor de Liège ; on y distingue clairement tous les éléments habituels que sont le chapeau, la croix, la crosse, la mitre et les dix houppes entourant le blason. (c) Sophie DELHALLE

Texte: S.D.