Les récits héroïques sont également, la plupart du temps, tragiques. Et l’histoire de la famille Dewé ne fait pas exception. De son grand-père Walthère Dewé, abattu par les Allemands, Philippe ne savait rien (ou presque) avant de s’y intéresser par lui-même à l’âge adulte. Lui et sa cousine Madeleine ont accepté de répondre à nos questions, quelques jours avant la commémoration du 80e anniversaire de la disparition de leur aïeul.
“Mon grand-père s’est illustré dans les services de renseignements clandestins et tout était top secret“. Des histoires de famille, Philippe Dewé, petit-fils de Walthère, n’en a pas beaucoup entendu. Chez les Dewé, le passé a toujours été douloureux à raconter. “Quand on évoquait cette période devant ma tante, (Marie, l’une des deux filles de Walthère Dewé, ndlr), elle disait toujours “on ne parle pas des Boches”. Cela revenait à retourner le couteau dans la plaie” se souvient Philippe, le plus jeune des petits-enfants Dewé.
Tragédies familiales
Né le 26 avril 1880 rue Coupée, au Thier à Liège, marié à Dieudonnée Salmon avec qui il aura quatre enfants (Marie en 1907, Walthère en 1911, Madeleine en 1914 et Jacques en 1920), Walthère Dewé dirigea deux services de renseignements clandestins, celui de la Dame Blanche de 1916 à 1918, fondé par son cousin Dieudonné Lambrecht, fusillé par les Allemands, et le réseau Clarence jusqu’à son assassinat le 14 janvier 1944 dans les rues de Bruxelles.
En 1943, son épouse meurt, foudroyée par une crise cardiaque. Quelques jours avant d’être lui-même abattu, lors d’une mission de sauvetage d’un agent, ses deux filles seront arrêtées et déportées à Ravensbrück. Madeleine n’en reviendra pas. La famille Dewé a donc payé un lourd tribut en échange de son engagement patriotique.
Hors norme
Cinquième d’une fratrie de cinq garçons, Philippe n’a, comme tous les autres petits-enfants Dewé, jamais connu son grand-père. Il a surtout appris à le connaître à travers ses lectures et ses recherches. “Je suis très fier évidemment. Quand j’étais petit, j’accompagnais mon père aux manifestations patriotiques en hommage à mon grand-père au mémorial ou à la Chartreuse mais je ne réalisais pas vraiment.” On lui demande souvent s’il n’a pas conservé des documents témoignant des activités de son grand-père.
Walthère Dewé a repris la direction du réseau de la Dame Blanche, après l’exécution de son cousin Dieudonné Lambrecht, en 1916. Statue de La Chapelle érigée rue Coupée, à côté de la maison natale de Walthère Dewé. DR
La famille n’a conservé aucune archive personnelle, et ce qu’elle possédait a été confié au CEGESOMA (centre d’expertise belge de l’histoire des conflits du 20e siècle) en 2006. Plusieurs mètres d’archives relatives aux activités des réseaux Dame Blanche et Clarence et de leurs agents sont conservés en Belgique mais aussi au Royaume-Uni. Plusieurs historiens ont par ailleurs étudié l’histoire de la résistance lors des deux guerres mondiales grâce à ces précieux documents mais aussi aux témoignages laissés par certains agents. Sans rien enlever au dévouement et sacrifice de ces derniers, Walthère Dewé apparait comme un résistant d’une stature assez exceptionnelle.
Un réseau, des hommes
C’est à l’âge adulte que Philippe prend la mesure du personnage même si, pour sa part, il regrette que Walthère et son cousin Dieudonné fassent quelque peu ombrage à tous ceux – et surtout celles – qui ont collaboré aux réseaux de renseignements. Sans eux, rien n’aurait été possible, estime Philippe.
D’où le projet mené par sa cousine historienne, Madeleine Lebrun-Dewé, et son mari d’établir la liste de tous les agents du réseau Clarence – à peu près 1500 au total – et de citer les noms de ceux décédés en mission lors de la prochaine cérémonie d’hommage ce vendredi 12 janvier qui marquera le 80e anniversaire de la disparition de Walthère Dewé. “Mon grand-père avait donné l’impulsion après la première guerre en créant Le Bastion (voir ci-dessous, ndlr). Nous faisons ce qu’il aurait probablement fait s’il n’était pas décédé pendant le conflit. Nous voulons que l’hommage ne soit pas adressé à un seul homme mais au réseau de tous ses collaborateurs'” nous explique Madeleine.
Maintenir le souvenir
Ce sont les héritiers du Bastion, asbl créée par Walthère Dewé pour commémorer le souvenir des fusillés de la Chartreuse en 1914-1918, qui organisent chaque année cette cérémonie, en alternance à la chapelle, rue Coupée, et au fort. Philippe en est par ailleurs le vice-président. “On essaie de maintenir la flamme du souvenir et de la transmettre“. Un devoir qui, pour les plus jeunes générations, perd malheureusement de son évidence.
La maison natale de Walthère Dewé est toujours occupée par la famille, Philippe Dewé habite quant à lui à une centaine de mètres, d’autres membres du “clan” vivent également dans le quartier. “Nous sommes fort attachés au site” admet volontiers Philippe, sur lequel a par ailleurs veillé sa tante Marie jusqu’à sa mort.
Madeleine, seule petite-fille Dewé, nous parle de l’héritage que lui a légué son grand-père. “Malgré son absence, il était fort présent à travers ses idéaux. Nous en avons été imprégnés sans le savoir. Il nous a transmis son esprit de service. Tous les dimanches, après la messe, mon papa (Walthère Dewé fils, ndlr) recevait des chômeurs qui venaient lui demander un coup de main pour trouver du travail. Cela m’a marquée.”
Walthère Dewé et son épouse Dieudonnée reposent dans la crypte de la chapelle, rue Coupée, à Liège. DR
Une chapelle mémorielle
La chapelle où, dans la crypte, reposent depuis 1954 les dépouilles de Walthère et de son épouse, appartient à la Ville de Liège mais Philippe continue de veiller au grain et joue parfois au guide. Jusqu’il y a une vingtaine d’années, on y célébrait encore la messe tous les dimanches. “Aujourd’hui, on y joue des concerts de musique classique, on y célèbre des mariages et des baptêmes” indique Philippe. Cette chapelle a été construite dans les années 1950 pour exaucer le voeu de Walthère Dewé de disposer d’un lieu de prière dans son jardin. “Le comité de l’époque avait réussi à récolter beaucoup d’argent d’où la taille de la chapelle” que Walthère imaginait très certainement beaucoup plus modeste, à son image.
Seront donc réunis ce vendredi 12 janvier à la chapelle mémorielle de la rue Coupée, au Thier à Liège, autorités civiles et militaires, représentants d’ambassade ainsi que des associations patriotiques. Participeront également des élèves et professeurs du Lycée Léonie de Waha et de l’Institut Marie-Thérèse. Mgr Delville prendra la parole sur le thème “Religion et résistance”.
Texte: Sophie Delhalle