Rachel, Louis, Zoé, Robert, Maria, Auguste sont devenus les témoins silencieux d’une époque, celle de l’occupation allemande de 1914-1918. Plus de 150 specimens de laisser-passer allemands sont ainsi conservés aux archives de l’Evêché. C’est notre pépite du mois d’avril !
Les propriétaires de ces “certificats d’identité” imposés par les autorités allemandes à partir de 1917 (mais délivrés dès 1915) ne sont pas Liégeois mais originaires du Hainaut, dans l’entité de Goutroux précisément. Comment ont-ils donc atterri aux archives de l’Evêché de Liège ? Par un don privé, nous explique l’archiviste, Christian Dury. “Ceci montre que notre service peut aussi contribuer à sauver des archives ne relevant pas de l’histoire de l’Eglise“. Et ces documents sont extrêmement précieux pour raconter l’histoire de l’occupation de 14-18 dans notre pays. Ils nous donnent accès à une quantité d’informations comme les prénoms en vogue, les professions, le niveau d’instruction, …
Des hommes d’acier de charbon
Si le groupe de population concerné est plutôt restreint (164 individus), cet échantillon peut néanmoins servir de base pour une étude anthropo-sociologique de ce microcosme. Que peut-on d’ailleurs tirer comme enseignements de ces fiches d’identité ? Et que pouvons-nous déduire de ces données ?
Les personnes fichées sont nées entre 1846 et 1902. La majorité sont des hommes, houilleurs. Parmi les autres professions mentionnées figurent celles de cultivateur, journalier, menuisier, chauffeur, garnisseur, ajusteur, pudleur*, lamineur*, tréfileur*, cordonnier, forgeron, piocheur, maçon, négociant ou encore électricien. Dans cette galerie de portraits masculins, nous croisons également un porion et un chef porion. Dans le monde minier, porion est l’appellation familière du maître mineur ou contremaître. Ceci nous indique donc que les hommes détenteurs de ces “passeports allemands” étaient employés dans les mines ou la métallurgie.
Des apparences trompeuses
Les femmes sont majoritairement renseignées comme ménagères, avec quelques exceptions (servante ou sans emploi). Si certaines paraissent très jeunes, les apparences sont parfois bien trompeuses. Les conditions de vie et de travail de l’époque mettent les corps à rude épreuve et l’aspect physique peut nous jouer des tours dans l’estimation de l’âge; certaines femmes âgées d’une cinquantaine d’années peuvent en paraître facilement dix ou vingt de plus. Une partie de ces gens sont déclarés comme illettrés.
Certains visages attirent d’emblée notre attention, comme ce petit garçon qui ressemble à un écolier. Qu’elle ne fut pas notre surprise en découvrant sa date de naissance ! Le jeune homme est en réalité âgé de 17 ans et sa fiche mentionne son activité : houilleur. Et il n’est pas un cas isolé : Robert, 15 ans, est cultivateur, Elie, 15 ans, garnisseur, Nestor, Alexandre et Amour (quel prénom original pour l’époque) 15 ans, houilleurs. Sans oublier Léonie, journalière d’usine à seulement 17 ans … Une réalité que l’historienne contemporanéiste que je suis a bien entendu étudiée, mais y être confrontée de cette manière reste toujours émouvant et interpellant.
De beaux prénoms et de beaux habits
A côté des prénoms classiques Joseph(ine), Auguste(a), Oscar, Octave, nous trouvons aussi des prénoms plus étonnants comme Zoé, Philomène, Ephrem, Palmyre, Saturnin, Emereutia, Flore, Séraphine, Mélina, et Amour que nous venons de citer plus haut.
Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises, les apparences sont décidément trompeuses et ne permettent pas de statuer de manière certaine sur la condition sociale des individus. De nombreux houilleurs ont revêtu leurs beaux habits du dimanche pour se faire tirer le portrait. Il n’y a par ailleurs pas deux photos identiques. Les poses sont de face ou légèrement de profil, en position debout ou assise. Il ne s’agit donc probablement pas de clichés allemands, certaines photographies sont cousues au certificat, certaines ont également disparu.
Si vous pensez que l’un de vos ancêtres pourrait faire partie du lot, ou si vous avez de la famille ou des connaissances dans la région, n’hésitez pas à contacter notre archiviste Christian Dury qui se fera un plaisir de vous renseigner.
Contact: archives@evechedeliege.be ou +3242303167 (mardi, jeudi et samedi matin)
* Le puddleur est un ouvrier spécialisé de la métallurgie qui travaillait au four à puddler (de l’anglais « to puddle », brasser). Il était chargé de brasser la fonte en fusion avec des scories pour la décarburer et la transformer en un matériau plus souple qui pouvait être martelé, laminé ou forgé. C’est un travail éprouvant dans un environnement difficile. Du travail du puddleur dépendait la qualité du matériau final.
* Ouvrier de la métallurgie dont le travail consistait à laminer càd à réduire un métal en lame, en lui donnant une épaisseur uniforme par une compression toujours égale entre deux cylindres
* Personne chargée de travailler le métal pour en faire du fil.
Texte: Sophie DELHALLE