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Loin d’être figées pour l’éternité, nos paroisses ont une vie : elles naissent, grandissent, fusionnent, disparaissent… Un processus en cours depuis des siècles et qui se poursuit aujourd’hui encore. Sur ce sujet, nous avons fait appel à une experte, Julie Dury, doctorante en géographie historique dont la thèse porte sur “La mise en place du réseau paroissial dans le diocèse de Liège des origines à 1559”.  

En janvier 1828, un géomètre dresse le plan topographique de Winanplanche pour appuyer la requête des habitants souhaitant disposer d’une église succursale. (c) Archives de l’Evêché de Liège 

Entre les publications officielles et les registres de toutes sortes, le fonds du secrétariat de l’évêché renferme entre autres documents des plans, fournis dans le cadre de demandes de changement dans les délimitations paroissiales. Ces demandes sont généralement motivées par un accroissement démographique, un déplacement de l’activité ou de l’habitat. Trois critères sont pris en compte pour étudier ces demandes : la proximité de l’église, le nombre d’habitants concernés et l’accord de toutes les paroisses concernées. Dans certains cas, c’est une fusion ou un transfert de paroisses, dans d’autres, une simple modification des délimitations, mais aussi parfois la création ou la suppression d’une entité paroissiale.

Dîme et paroisse au Moyen Age

Cette volonté de délimiter le territoire diocésain – à ses frontières et en interne – a toujours existé, nous explique Julie Dury, mais, “pour l’histoire du maillage paroissial, nous ne sommes documentés qu’à partir des 11-12e siècles“. Nous pouvons toutefois remonter jusqu’à l’époque carolingienne, où certaines délimitations sont déjà fixées avec l’apparition de la dîme, cette taxe religieuse prélevée sur les terres cultivées à l’intérieur d’une paroisse (1/10 des récoltes redistribué au clergé, à l’entretien de l’église et aux pauvres).

Mais le rapprochement n’est pas aussi évident qu’il n’y parait puisque certaines zones de prélèvement de la dîme peuvent s’étendre sur plusieurs paroisses, précise notre experte. Et que la totalité du territoire paroissial n’est pas forcément soumis à cette taxe. Ainsi la connaissance du prélèvement de la dîme ne nous renseigne pas suffisamment pour déterminer les délimitations réelles des paroisses durant le Moyen Age. Ainsi il faut bien attendre le 12e siècle pour assister à la naissance des paroisses selon les critères précis de territorialité, communauté et célébrant y attaché.  

Conflits de voisinage

Pourquoi et comment interviennent les modifications des limites paroissiales ? “Différents types d’actes peuvent nous renseigner sur les limites et leur évolution comme par exemple l’érection d’une paroisse autour d’une chapelle qui faisait déjà partie d’une paroisse, la question est donc de délimiter le territoire de la nouvelle entité, mais c’est un cas plutôt rare.” L’Eglise accueillait plutôt avec frilosité les demandes de changements territoriaux émanant des habitants. Car la création d’une nouvelle paroisse soulève la question de sa viabilité financière. C’est à chaque fois un pari sur l’avenir. D’ailleurs, c’est ce même motif financier qui intervient dans la décision de fusionner deux paroisses dont les ressources viennent à manquer. 

Ce qui arrive plus fréquemment, poursuit Julie Dury, ce sont des conflits entre les percepteurs de la dîme lorsque de nouvelles terres sont mises en culture sur une frontière limitrophe entre deux paroisses voisines.” S’engage alors une bataille pour la perception de cette nouvelle dîme, arbitrée par des experts ou gens de bonne foi, membres de congrégations religieuses ou de l’officialité (justice ecclésiastique). Mais, dans la majorité des cas, et cela s’observe plus particulièrement pour les périodes ultérieures, les modifications territoriales ont pour but de faciliter l’accès des fidèles aux sacrements, en réduisant la distance de parcours, en tenant compte de la praticabilité des chemins. 

Carte dressée pour illustrer le projet de création d’un doyenné à Fallais qui serait constitué de 12 paroisses “prélevées” sur les doyennés de Hannut, Georges et Huy. (c) Archives de l’Evêché de Liège

A l’ère du Concordat

Aux 19e et 20e siècles également, créer ou supprimer une paroisse soulève la question des postes à pourvoir avec la “difficulté supplémentaire” que, depuis le Concordat de 1803, toute modification doit être soumise et validée par les autorités civiles. On le sait par un courrier du gouverneur de la province de Liège adressé à l’évêché en 1950 : la Députation permanente devait statuer sur le rattachement de la commune de Neu-Moresnet à la paroisse de La Calamine, et que, dans ce cadre, différents documents devaient lui être fournis pour préciser les circonscriptions légales des deux paroisses en cause, les nouvelles limites paroissiales projetées et les endroits où les églises respectives seront situées. Les dossiers conservés aux archives de l’Evêché de Liège sont malheureusement lacunaires, il n’est donc pas toujours possible de savoir si la requête a abouti. 

Photographies du temps  

Lesdits plans sont produits de manière très différente selon les lieux et l’époque, du simple tracé à la main sur papier pelure au plan millimétré du géomètre, ils restent néanmoins des supports essentiels pour écrire l’histoire topographique des paroisses et des témoins précieux de l’activité humaine et économique en un lieu à un moment donné. En effet, ces plans renseignent des éléments considérés comme des marqueurs importants (pour certains ayant disparu ou totalement cessé leurs activités) : écoles, cimetières, établissements de soins (hôpitaux, sanatorium), infrastructures militaires (fort, caserne, …), voirie et chemins de fer, industries (laminoir, fonderie, usines à canons, carrière de marbre, …). 

Deux exemples : Jupille et Visé 

Nous avons épluché ces dossiers et retenu deux exemples qui concernent Jupille et Visé. Dans un courrier adressé à l’évêque, Mgr Kerkohfs, les curés de Jupille et de Bois-de-Breux expriment le souhait de rattacher un petit morceau de la paroisse de Jupille, évalué à 250 habitants, qui forme une enclave dans la paroisse de Bois-de-Breux à celle-ci (voir plan ci-dessous). “Les habitants se trouvent tous à dix minutes de l’église de Bois-de-Breux qui est à la même altitude. Pour se rendre à Jupille, ils doivent descendre une longue côte de 3 km” écrivent les deux ecclésiastiques fin septembre 1954 précisant que l’annexion de cette enclave reviendrait à “reconnaître en droit ce qui existe en fait depuis longtemps”.

A Visé, en janvier 1957, une demande d’érection de paroisse – exigée par une augmentation de la population liée à la politique de construction de la Ville – est longuement détaillée et motivée. Le déplacement du centre de Visé vers le Nord et l’Est serait renforcé par la création de nouveaux quartiers pour accueillir les personnes habitant et travaillant à Liège qui s’installent à Visé. Certaines personnes des communes voisines construisent également sur la route de Maastricht. Une attraction expliquée par la présence de la gare internationale et de plusieurs écoles sur le territoire visétois. C’est donc un argument essentiellement démographique et urbanistique qui est invoqué pour justifier l’érection d’une nouvelle paroisse dédiée à saint Hadelin, patron de Visé, et donc la construction d’un édifice religieux sur un terrain appartenant à la Fabrique d’église de la collégiale. En dépit de cet exposé détaillé, le projet n’a en réalité jamais vu le jour. 

Sur ce plan, en jaune, l’enclave pour laquelle une annexion à la paroisse de Bois-de-Breux est demandée. (c) Archives de l’Evêché de Liège

Texte: Sophie DELHALLE avec la collaboration de l’archiviste diocésain, Christian Dury