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Comment détecter et pévenur l'abus 

Les 21 et 23 mai, tous les acteurs pastoraux du diocèse de Liège ont participé à une formation sur la prévention des abus à l’Espace Prémontrés assurée par la théologienne belge, Mme Karlijn Demasure, professeure émérite, fondatrice du Centre de protection des mineurs et personnes vulnérables à l’Université Saint-Paul d’Ottawa.

Afin d’en faire bénéficier l’ensemble des acteurs pastoraux, la formation sur la détection et la prévention des abus dans l’Eglise a été dispensée sur deux journées par la théologienne Karlijn Demasure qui accompagne des victimes d’abus depuis plus de 25 ans. (c) Sophie DELHALLE 

En guise d’introduction à ces deux journées de formation, conjointement organisée par le Vicariat “Accompagnement des acteurs pastoraux” et celui de la formation, notre évêque a souligné l’importance de lutter contre toutes les formes d’abus “qui empoisonnent les relations en Eglise”. L’experte du jour, Madame Karlijn Demasure a donc commencé son exposé en détaillant les différents types d’abus auxquels fait face la société en général, et nous savons que l’Eglise ne fait pas exception, loin de là. Abus de pouvoir, spirituels, de confiance et de conscience sont par ailleurs favorisés par l’asymétrie des rapports de force dans notre institution. “Quelqu’un qui est dans le pouvoir peut abuser de son pouvoir. Par exemple, entre le clergé et les laïcs, il y a un groupe plus important qu’un autre”. Et de préciser que c’est toujours celui a le plus de pouvoir qui est responsable de la situation et doit empêcher les “dérapages”.

Concernant l’abus spirituel en particulier, Karlijn Demasure explique qu’il dépossède les victimes de leur identité et de leur unité en blessant profondément leur âme et leur relation à Dieu. Et que dans la plupart des cas, l’abus spirituel débouche sur un abus sexuel. Notre spécialiste invite donc prêtres et acteurs pastoraux à prendre conscience de ce possible glissement aux conséquences irrémédiables et traumatiques pour les victimes. Elle les encourage aussi à “soigner” leurs prises de parole et leurs homélies, en tenant compte de la présence de potentielles victimes directes et indirectes dans l’assemblée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1 femme sur 5 avant l’âge de 18 ans a subi au moins une forme d’abus pour 1 homme sur 13. 

De la difficulté de témoigner

De par ses recherches et sa large expérience du terrain, Karlijn Demasure a pu illustrer chaque aspect théorique par des cas précis (sans citer de noms). Elle se réfère abondamment aux trois témoignages de victimes qui ont fait l’objet de publications autobiographiques à savoir Sophie Ducrey, Anne Mardon et Marie-Laure Janssens (références en fin d’article). Elle a expliqué en quoi l’acte de témoigner est difficile, notamment en raison de blocages psychologiques aujourd’hui bien documentés. La mémoire traumatique possède ses propres règles, entre oubli et reconstruction. “Témoigner ne résout pas tout, c’est souvent le début d’un long et douloureux processus, vers la guérison pour certains. La prise de parole n’est pas toujours synonyme de délivrance, beaucoup de victimes ont un sentiment ambivalent et regrettent d’avoir témoigné sitôt l’avoir fait.” Même si, depuis cinquante ans, la compréhension des abus a évolué, que les conséquences à long terme ont pu être démontrées et que le déni ou la minimisation ne sont plus possibles, témoigner et dévoiler son intimité n’est jamais facile. 

Abus et vulnérabilité 

Qui sont les abuseurs ? Qui sont les “abusés”? Le pape François a établi que, dans l’Eglise, l’abuseur fait en réalité partie d’un système abusif qui a permis et couvert les abus à une certaine époque. Il pointe le cléricalisme, cette conception déformée du pouvoir qui place les prêtres sur un piédestal en projetant sur eux des attentes irréalistes. Le célibat a pu être perçu comme une garantie contre certains types d’agissements. L’histoire nous a malheureusement prouvé le contraire. Quand un abuseur est aussi charismatique, la révélation de ses abus divise inévitablement l’opinion. Comment croire qu’un homme comme Jean Vanier, fondateur d’une oeuvre telle que l’Arche, a pu commettre de tels actes répréhensibles ? “Cela me fait penser à l’image biblique de l’arbre et des fruits. Un arbre bon peut-il donner de mauvais fruits ? Un mauvais arbre peut-il donner de bons fruits ? C’est une vraie question pour moi” a reconnu la conférencière. Et d’ajouter encore que les prêtres irréprochables sont également des victimes secondaires car ils sont d’emblée perçus comme de potentiels abuseurs. 


Pour Karlijn Demasure, “Le drame dans les abus spirituels, ce qu’on abuse d’un profond désir de Dieu.” (c) Sophie DELHALLE

Comprendre l’emprise 

Karlijn Demasure expose ensuite les mécanismes de l’emprise : séduction et flatterie, attraction et rejet, isolement de la victime et enfin obéissance et soumission. L’abuseur vide la victime de sa liberté intérieure annihilant sa volonté et sa capacité d’opposition. “Le drame dans les abus spirituels, ce qu’on abuse d’un profond désir de Dieu” souligne la théologienne. Les victimes d’abus sont des personnes en situation de vulnérabilité qui développent par la suite un fort sentiment de culpabilité (pour des actes dont elles ne sont pas responsables) et de honte. L’abus est vécu comme une souillure physique et spirituelle. Aujourd’hui, la question des abus ne concernent plus seulement des enfants mais aussi des adultes. 

Comment écouter les victimes 

Dans la seconde partie, Karlijn Demasure a abordé la façon d’écouter un “survivant” d’abus. « L’attitude physique et les mots choisis sont très importants, cela relève d’une maîtrise de soi qui se développe grâce à l’expérience ainsi qu’à des formations pratiques sur l’écoute et l’accompagnement des victimes ». Un temps a également été consacré à l’accueil et l’écoute active qui implique de ne pas juger, ni interrompre l’interlocuteur, de ne pas interpréter ses propos mais de les récapituler avec lui. Le silence s’impose parfois, il convient de ne pas s’exprimer à la place de la victime mais aussi de ne pas se laisser distraire, d’être totalement présent. C’est seulement après le récit que nous pouvons réagir sans faire de promesse et éviter toute attitude inquisitoire. “Toute personne qui a une charge dans l’Eglise doit être capable de recevoir cette première parole” estime Karlijn Demasure car “Dieu n’a pas peur des victimes.”  

“Le pardon est une grâce”

La journée s’est clôturée avec le thème du pardon et les mesures de prévention à mettre en oeuvre. Le pardon est optionnel lorsque l’auteur des faits ne demande pas le pardon ou lorsque le dommage causé ne peut être réparé. Le pardon est un long processus qui commence avec le désir de pardonner mais celui-ci ne peut émerger qu’après le stade indispensable de la colère. Une colère que les acteurs pastoraux doivent aussi apprendre à accueillir, même si cela n’est pas agréable. Il arrive, bien évidemment, que l’on ne parvienne pas à pardonner. “Le pardon est une grâce” affirme Karlijn Demasure mais “Dieu est patient“. Et pour certaines victimes, le premier pardon qu’ils ont envie ou besoin de donner s’adresse d’abord à l’enfant meurtri qu’ils ont été. 

Conseils de prévention 

Concernant la prévention, la conférencière a montré la nécessité d’être formé à la question des abus pour pouvoir reconnaître les signaux d’alerte et intervenir immédiatement et au besoin faire appel à des experts. L’enjeu se situe à trois niveaux : protéger les mineurs et les personnes vulnérables, encadrer les adultes qui travaillent avec ces personnes et disposer d’une législation et d’un système de normes et de valeurs sociales efficaces. Pour Karlijn Demasure, les parents doivent être formés pour reconnaître les indicateurs d’abus. Ils sont les premières vigiles. Elle a ainsi listé toute une série d’attitudes ou gestes inappropriés qui doivent alerter notre jugement. Le cadre participe notamment à la prévention. Les prêtres sont ainsi invités à éviter des situations répétitives de trop grande proximité avec des fidèles isolés. L’invitée du jour a conclu ces deux journées de formation par trois conseils : avoir confiance dans son intuition, parler avec quelqu’un de ses soupçons, accepter qu’un abuseur peut très bien donner le change et ne rien laisser paraître, mais peut être réellement coupable de ce qu’on l’accuse.

Pour aller plus loin :

Sophie Ducrey, Etouffée. Récit d’un abus spirituel et sexuel, Taillandier, 2019
Anne Mardon, Quand l’Eglise détruit, L’Harmattan, 2019
Marie-Laure Janssens avec Mikael Corre, Le silence de la Vierge. Abus spirituels, dérives sectaires : une ancienne religieuse témoigne, Bayard, 2017

Texte: Sophie DELHALLE