Chaque année, le 4e dimanche de novembre, les Mangons liégeois se réunissent en chapitre à la collégiale Saint-Barthélemy. Le 26 novembre, Mgr Delville a rehaussé la célébration d’intronisation des aspirant et nouveaux compagnons de sa présence. Mais qui sont les Mangons ?

Paul Battistoni, Grand Chambellan de la Confrérie des Mangons (c) Sophie DELHALLE
En passant la porte de la collégiale Saint-Barthélémy en ce dimanche matin de la Solennité du Christ Roi où Monseigneur préside la messe du 50e chapitre des Mangons, un délicieux fumet a réveillé nos papilles. Et pour cause ! De plantureux plateaux de boudins trônent en bonne place, à côté de l’autel.
Intégralement vêtus de rouge, on distingue aisément dans l’assemblée ceux que l’on appelle les Mangons, autrement dit les bouchers liégeois, qui s’apprêtent à accueillir un 56e aspirant et de nouveaux compagnons.
Des bouchers habillés … comme des juges !
Expliquons tout d’abord qui sont les Mangons. Et qui de mieux placé que Paul Battistoni, actuel Grand Chambellan de la Confrérie, pour nous conter leur histoire. Ce dernier a exercé la profession de boucher-charcutier pendant plus de cinquante ans. Une vie consacrée aux plaisirs carnés et l’envie de transmettre aux plus jeunes cet amour du métier.
Placée sous la protection de saint Théodard*, la Confrérie des Mangons puise ses racines au Moyen-Age, elle fut créée en 1330 exactement, les bouchers font par ailleurs partie des 32 Bons Métiers de Liège.
“Les habits sont inspirés des gravures du Moyen Age, à l’époque, chaque métier disposait de son propre tribunal, c’est pourquoi les Mangons ressemblent à des juges“. Si depuis longtemps la Confrérie ne rend plus justice, elle se donne aujourd’hui pour mission d’entretenir les contacts entre gens de métier et assurer la transmission d’un savoir-faire. “Quelques jeunes nous ont rejoint, mais ils ne sont pas nombreux” déplore Mme Battistoni, qui a secondé son mari dans leur boucherie artisanale.
“En 1960, quand j’ai commencé à travailler chez un boucher, raconte Paul Battistoni, je ne découpais que du boeuf, du veau et de l’agneau, c’est le charcutier qui s’occupe de transformer le porc et d’en faire des charcuteries. Et à une certaine époque on distinguait encore les tripiers.”
Historiquement, le terme Mangon désigne donc le boucher liégeois du Moyen-Age, celui qui donne à manger. Le “cher-cuitier” (qui a donné le nom de charcutier) fabriquait la viande cuite.
Qui peut devenir Mangon?

Jean-Paul Passuello a prêté le serment des aspirants Mangons, hache de boucher en mains. (C) Sophie DELHALLE
Quelles sont les conditions pour devenir Mangon ? “Etre boucher, charcutier ou traiteur, être du métier. De plus en plus de bouchers proposent un service traiteur, il était donc pertinent de leur ouvrir les portes de la Confrérie” nous explique le couple Battistoni. Chaque aspirant Mangon doit être par ailleurs parrainé par un membre de la Confrérie.
Durant le chapitre annuel, la Confrérie procède à l’intronisation des aspirants Mangons et des Compagnons qui intègrent la Confrérie à titre purement honorifique. La Confrérie compte aujourd’hui une vingtaine de Mangons, bouchers de métier, et une soixantaine de Compagnons. Cette année, Monsieur Jean-Paul Passuello (photo ci-contre) a revêtu la toge du Mangon tandis que messieurs Didier Felsch, Albert Bovens, Reinhold Seffer et Michel Cuipers ont reçu la médaille de Compagnon.
C’est Paul Battistoni qui a procédé à leur intronisation lors de la célébration de ce dimanche 26 novembre en présence de Mgr Delville. A noter que d’autres confréries assistaient à la célébration, notamment celle de Saint-Hubert (dont fait partie l’un des Compagnons intronisé) et celle de Saint-Nicolas en Outremeuse.
“Le Christ est un roi d’amour”
Pour cette messe des Mangons, la chorale des Bengalis de Liège a magnifiquement assuré la partition musicale. Et le chanoine Jean-Pierre Pire, curé-doyen et aumônier de la Confrérie, assistait notre évêque qui a prononcé une homélie en lien avec le passage de l’évangile de saint Matthieu (25, 31-46) : “Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; […] chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Avec cette belle conclusion : “Donc le Christ roi de l’univers, que nous fêtons aujourd’hui, est un roi d’amour et un frère des hommes. Chers Frères et Sœurs, le Christ, en nous évaluant sur notre amour des pauvres, nous fait passer un examen facile : chacun est capable de réussir !

Mangon ou pas mangon, le message du Christ s’adresse à nous aujourd’hui, a affirmé Mgr Delville (c) Sophie DELHALLE
Vous voyez que le message d’aujourd’hui, qui vise d’abord la fin des temps, nous renvoie plus que jamais à notre présent ! Qu’est-ce que je fais de ma vie ? L’amour que j’y mets sera gardé pour toujours, et le reste doit être jeté au feu parce que ce n’est pas utile. Sachons entendre ce messages, que nous soyons Mangons ou pas Mangons !“
Le secret d’un bon boudin
La célébration a été suivie d’un banquet et par la dégustation de vins et de boudins présentés dans l’une des catégories du concours qui a lieu le vendredi précédent la cérémonie : boudin blanc, boudin blanc de Liège, boudin blanc fantaisie et boudin noir.
Selon Paul Battistoni, il y a autant de recettes qu’il y a de bouchers. Et il s’avère difficile voire impossible de remonter à la recette originale. De mémoire de Liégeois, on a toujours fait du boudin à Liège ! Mais quel est donc le secret du boudin blanc de Liège ? “Du porc, du maigre et du gras, du lait et de la marjolaine de Vottem” nous dévoile notre boucher expert.
Un métier beau mais exigeant et surtout en péril
D’ailleurs, qu’est-ce qui fait un bon boucher? “L’amour du métier“, répond sans hésiter Paul Battistoni. “Le vrai boucher fait ce qu’il aime et aime ce qu’il fait.” Et d’ajouter : “C’est un métier physique, tout ce qu’on touche est froid, on doit se lever tôt; mais c’est aussi la satisfaction de fabriquer ses propres produits, qui plaisent aux clients, c’est de l’artisanat, ça prend du temps“. Chaque boucher a ses spécialités, Paul aimait surtout faire du jambon à l’os, du boudin blanc et de la tête de veau.

Parmi la vingtaine de Mangons, quelques jeunes dont une jeune maman. (c) Sophie DELHALLE
Il regrette que ce métier auquel il a consacré sa vie soit, comme beaucoup de métiers manuels, dénigré. “La boucherie, c’est une grande variété de tâches, c’est aussi du relationnel, le boucher de quartier a presque un rôle social “. “Je me souviens, raconte encore son épouse, d’un petit garçon qui fréquentait la boucherie, sa maman nous a dit que son premier mot avait été boudin, nous lui en donnions toujours une petite rondelle.”
C’est aussi un métier en constante évolution, notamment en raison des normes sanitaires de plus en plus strictes. Chaque année, des bouchers ferment boutique, par manque de relève. Deux écoles liégeoises proposent encore la formation de boucher, Château Massart et l’Ecole d’hôtellerie dont certains élèves ont assisté à la messe des Mangons. Ils ne sont hélas qu’une petite poignée à être parvenus en dernière année de cursus et très peu persévèreront dans le métier. “Nous sommes peut-être concurrents, conclut Paul Battistoni, mais il y a de la place pour tout le monde.“
📷 Découvrez notre reportage photo complet de la célébration du 50e chapitre des Mangons sur notre page Facebook Diocèse de Liège – Bistum Lüttich
Sophie DELHALLE
* Saint Théodard (620-vers 670) est un saint et martyr chrétien. Il fut élève de saint Remacle, qui le nomme à la tête des monastères de Stavelot et de Malmedy. Il devient ensuite évêque de Maastricht. Il a été le maître de saint Lambert.